Vers une transparisation numérique des tissus biologiques

A. Badon, V. Barolle, K. Irsch, A.C. Boccara, M. Fink, A. Aubry, « Distortion matrix concept for deep optical imaging in scattering media », Sci. Adv. 6, eaay7170, 2020

Cet article propose une méthode d’imagerie computationnelle permettant de rendre transparent les tissus biologiques en microscopie optique. Plus précisément, il s’agit de surmonter les phénomènes d’aberrations et de diffusion multiple qui empêchent les microscopes conventionnels d’imager les tissus biologiques en profondeur (au-delà de quelques centaines de microns). Basée sur une approche matricielle de l’imagerie, notre méthode d’imagerie permet de repousser la profondeur de pénétration des microscopes (au-delà du millimètre) et d’améliorer singulièrement la qualité de ces images en optimisant la focalisation de la lumière en profondeur. Cette approche peut être étendue à tout type d’ondes, avec des applications qui vont de l’échographie [1] à la géophysique [2] en passant par le contrôle non destructif dans l’industrie.

En imagerie ondulatoire, nous visons à caractériser un milieu inconnu en le sondant activement puis en enregistrant les ondes réfléchies par le milieu. C’est, par exemple, le principe de l’échographie pour les ultrasons, de la tomographie à cohérence optique pour la lumière ou du radar pour les ondes électromagnétiques. Cependant, la propagation des ondes entre les sources et capteurs de lumière situés à l’extérieur du milieu à imager est souvent dégradée par les hétérogénéités du milieu lui-même. Ces dernières peuvent induire des distorsions du front d’onde (aberrations) et des évènements de diffusion multiple qui dégradent fortement la résolution et le contraste de l’image. Les aberrations et la diffusion multiple constituent donc les limites fondamentales de l’imagerie en général et de la microscopie optique en particulier. Si, par le passé, les méthodes de focalisation adaptative, inspirées de l’astronomie, ont permis de surmonter certaines aberrations, ces approches ne sont efficaces que sur de toutes petites régions appelées patchs d’isoplanétisme (leur taille est de l’ordre de quelques microns à un millimètre de profondeur dans les milieux biologiques).


Figure : Images d’une mire de résolution à travers une cornée de singe fortement opaque. L’imagerie matricielle (à droite) révèle les détails de la mire qui sont totalement indétectables en (à gauche) du fait des fortes aberrations et de la diffusion multiple induites par la cornée.

Dans cet article, nous présentons une méthode d’imagerie optique non invasive en réflexion qui permet de vaincre ces limites en termes de profondeur de pénétration et de champ de vision. Celle-ci permet d’accéder à la matrice de transmission qui relie n’importe quel point situé à l’intérieur des tissus à inspecter avec chacun des capteurs d’une caméra CCD à l’extérieur du milieu. Cette matrice est le Saint Graal de l’imagerie. Elle permet une compensation fine de toutes les aberrations qu’une onde focalisée subit durant son parcours dans le milieu étudié. Elle permet également de filtrer le bruit de diffusion multiple qui altère fortement le contraste des images microscopiques. Dans cet article, nous montrons que l’approche matricielle permet de restaurer l’image d’une mire de résolution à travers une cornée de singe particulièrement opaque (cf. figure ci-dessous). Plus largement, notre approche peut être étendue à tout type d’onde qui peut être contrôlée par un réseau multi-capteurs. Les applications vont du diagnostic biomédical en microscopie optique et en échographie, à la détection de fissures dans des matériaux industriels en passant par la surveillance de volcans et de zones de failles en géophysique.

Cette approche a fait l’objet d’un brevet par le CNRS publié en février 2020 (WO2020016249).Ce projet a bénéficié de financements de l’European Research Council (ERC) dans le cadre du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne (conventions de subvention n° 610110 et 819261, HELMOLTZ* et REMINISCENCE ).
[1] W. Lambert, L. A. Cobus, T. Frappart, M. Fink, and A. Aubry,“Distortion matrix approach for ultrasound imaging of random scattering media “, Proc. Nat. Acad. Sci. USA 117, 14645-14656 (2020)
[2] T. Blondel, J. Chaput, A. Derode, M. Campillo, and A. Aubry, “Matrix approach of seismic imaging : Application to the Erebus volcano, Antarctica”, J. Geophys. Res. : Solid Earth 123, 10936-10950 (2018)


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