Imagerie interférométrique en transmission à travers l’œil humain

Lorsqu’on étudie des organes biologiques vivants, l’illumination se fait généralement par la lumière incidente et l’information est recueillie via le signal réfléchi. Mettre en place une géométrie de transmission reste un défi, puisqu’il est impossible de placer une source lumineuse à l’intérieur d’un organe in vivo.

Dans un travail récent [1], les chercheurs de l’Institut Langevin ont montré qu’une telle approche était réalisable dans l’œil humain vivant. L’idée repose sur l’effet bien connu de « red eye » en photographie : la sclère, couche située à l’arrière de l’œil, possède de fortes propriétés de rétrodiffusion. Cette lumière rétrodiffusée peut servir à illuminer les structures antérieures de l’œil (cornée, cristallin) par l’arrière, créant ainsi une géométrie d’imagerie en transmission naturelle.

Une question se pose alors : quel intérêt présente une telle imagerie, sachant que la cornée et le cristallin sont très transparents ? Pour y répondre, les chercheurs se sont appuyés sur la théorie d’Ernst Abbe [2], qui a montré dès le XIXᵉ siècle qu’une image en transmission se forme par interférence entre l’onde transmise et l’onde diffusée par les structures internes. Ce contraste peut être renforcé par une illumination spatialement cohérente, principe à la base du contraste de phase développé plus tard par Fritz Zernike. Plus récemment, cette idée a été exploitée pour réaliser des reconstructions tomographiques en modulant les interférences via l’effet de phase de Gouy [3],[4].

L’étude [1] démontre que ces concepts s’appliquent directement à l’imagerie de l’œil. En ajustant la taille du spot lumineux projeté à l’arrière de l’œil, il est possible de contrôler la cohérence spatiale de l’illumination. Un spot réduit augmente considérablement le contraste interférentiel par rapport à une illumination large.

Grâce à cette approche, toutes les couches de la cornée peuvent être résolues, révélant cellules, fibres nerveuses et dendrites chez des sujets humains. C’est également, à ce jour, la seule modalité d’imagerie permettant d’observer et de compter in vivo les cellules, sutures et fibres du cristallin. Pour la première fois, la structure interne des guttata associées à la dystrophie endothéliale de Fuchs — pathologie affectant près de 300 millions de personnes — a pu être caractérisée. Construit à partir de caméras grand public, cet instrument ouvre la voie à une adoption large, aussi bien pour le dépistage et le suivi post-chirurgical que pour le diagnostic d’infections cornéennes dans les pays à faibles ressources, où les maladies de l’œil antérieur sont fréquentes.

Références :
[1] Transmission interference microscopy of anterior human eye
Alhaddad S, Ghouali W, Baudouin C, Boccara AC, Mazlin V
Nature Communications. 2025 Aug 22 ;16(1):7838
[2] A contribution to the theory of the microscope and the nature of microscopic vision.
Abbe, E
Proc. Bristol Naturalists’ Soc. 200, 261 (1876).
[3] Label free optical transmission tomography for biosystems : intracellular structures and dynamics
Mazlin, V., Thouvenin, O., Alhaddad, S., Boccara, M. & Boccara, C.
Biomed. Opt. Express 13, 4190 (2022)
[4] Comparative analysis of full-field OCT and optical transmission tomography
Alhaddad, S., Thouvenin, O., Boccara, M., Boccara, C. & Mazlin, V.
Biomed. Opt. Express 14, 4845 (2023)

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