L’oreille humaine est un capteur fascinant, capable de détecter un éventail de sons couvrant dix octaves en fréquence et douze ordres de grandeur en amplitude. Ces propriétés exceptionnelles résultent de phénomènes non-linéaires qui se produisent au sein de la cochlée ; l’organe de l’oreille interne responsable de la conversion des stimuli sonores en impulsions nerveuses qui parviennent ensuite à notre cerveau. La compréhension de tels mécanismes constitue à la fois un enjeu fondamental mais également une opportunité pour améliorer les performances des microphones, qui sont encore bien loin d’égaler celles de l’oreille humaine.
Dans un article publié dans New Journal of Physics [1], nous transposons des résultats obtenus récemment dans le domaine des « métamatériaux » acoustiques [2] au contexte de l’audition. À l’aide d’un dispositif constitué d’une succession de tubes résonants de hauteurs croissantes (figure 1), nous avons reproduit expérimentalement un analogue de la réponse cochléaire. La fréquence de résonance d’un tube étant pilotée par sa hauteur, chacun d’entre eux sélectionne une note bien précise, permettant de dissocier spatialement les composantes fréquentielles d’un signal. Ce phénomène, appelé sélection tonotopique, a pu être observé sur des cochlées ex-vivo.
Mais ce qui est fascinant dans la biologie de la cochlée, c’est justement son caractère vivant et sa capacité à influer de manière active sur sa propre réponse. Ainsi, la cochlée se comporte différemment selon qu’elle est excitée par des sons faibles ou intenses. C’est cette dite amplification cochléaire qui nous permet d’entendre les sons les plus ténus. Pour imiter cette propriété, nous avons en quelque sorte animé les tubes de notre métamatériau, en les dotant d’un phénomène actif par l’ajout d’une boucle de rétroaction. Pour cela, un haut-parleur placé à l’extrémité de chaque tube émet en temps réel un son qui est directement relié au son enregistré par un microphone placé dans ce même tube. Les résultats montrent que notre cochlée artificielle reproduit qualitativement le comportement d’une cochlée biologique. Cela nous ouvre de nouveaux horizons à explorer expérimentalement à une échelle macroscopique dans la biophysique de la cochlée, avec notamment des perspectives intéressantes dans le traitement de la surdité ou bien dans la compréhension de phénomènes tels que les fréquences fantômes de Tartini ou encore l’oto-émission.
Photographie de notre « méta-cochlée » : un métamatériau actif à gradient d’indice reproduisant la cochlée.
Références
- M. Rupin, G. Lerosey, J. de Rosny et F. Lemoult, “Mimicking the cochlea with an active acoustic metamaterial,” New Journal of Physics, 21 (2019)
- F. Lemoult, N. Kaina, M. Fink et G. Lerosey, “Soda cans metamaterial : A subwavelength-scaled phononic crystal,” Crystals, 6, 82 (2016)