Processeurs atomiques pour le traitement du signal

Depuis l’avènement des premiers microprocesseurs en 1971, les technologies numériques progressent de façon exponentielle [Moore et al. 1998] et leurs capacités peuvent sembler, à terme, illimitées. Cependant lorsqu’on utilise les technologies numériques pour traiter un signal, l’étape de conversion analogique-numérique pose problème car le signal numérique produit est en général dégradé par rapport au signal analogique original : du fait de la quantification, la conversion introduit du bruit et des harmoniques au signal d’entrée. De plus, la dynamique et la rapidité doivent faire l’objet d’un compromis.

Des solutions alternatives doivent être recherchées. Une voie prometteuse est celle du traitement analogique de signaux placés sur porteuse optique. Dans ce contexte, les ions de terre rare en matrice cristalline (REIC), bien connus comme matériaux à gain pour les lasers, offrent des propriétés remarquables lorsqu’ils sont refroidis à la température de l’hélium liquide. Combinant une largeur inhomogène de plusieurs dizaines de GHz et une résolution spectrale en général très inférieure à 1 MHz, et capables par ailleurs de mémoriser à l’échelle de la microseconde un profil spectral pendant des temps qui peuvent atteindre plusieurs jours, ces matériaux peuvent être utilisés comme processeurs optiques programmables pour une grande variété d’applications. La figure ci-dessous donne un aperçu de ce que peut être un schéma de traitement d’un signal RF par un tel processeur. Le phénomène physique mis en oeuvre dans ces applications est le "spectral hole burning" (SHB), ou creusement spectral.

Traitement de signal RF sur porteuse optique à l’aide d’un "processeur" basé sur un cristal dopé avec des ions de terre rare. Le cristal est d’abord programmé optiquement, et est ensuite utilisé comme filtre pour le signal à traiter. Ce dernier est placé sur porteuse optique par un modulateur pour pouvoir être traité par le processeur, et peut être reconverti dans le domaine radio-fréquence si nécessaire.

Principe du creusement spectral. Lorsqu’un matériau à élargissement inhomogène est illuminé par un rayonnement monochromatique, seuls les centres actifs résonants avec la source lumineuse sont excités. Cette excitation radiative conduit au façonnage d’un trou de largeur 2\Gamma_h dans le profil d’absorption. En régime linéaire, la profondeur du trou ainsi creusé, représentant le nombre de centres actifs excités, est proportionnelle à l’énergie du rayonnement incident. Selon les matériaux à élargissement inhomogène utilisés, ce phénomène peut être permanent (mécanisme photochimique) ou transitoire (transfert de population)

A l’Institut Langevin, l’activité centrée sur les processeurs atomiques s’articule autour de trois grands axes.

  • L’analyse spectrale de signaux radio-fréquence. Ce projet, démarré il y a plus de 20 ans en collaboration avec le centre de recherche de l’entreprise Thales, puis avec des chercheurs de l’IRCP, vise à résoudre les composantes spectrales d’un signal radio-fréquence pour faciliter son traitement ultérieur par des dispositifs électroniques. L’optimisation de l’interaction lumière-matière [Linget et al., Phys. Rev. A 2015], [Attal et al., JOSA B 2018], l’étude profonde des mécanismes de relaxation dans les cristaux dopés [Ahlefeldt et al., Phys. Rev. B 2015], et l’exploration de la composition des cristaux [Welinski et al., Opt. Mat. 2017], [Ferrier et al., J. Lumin. 2018], [Zhang et al., J. Lumin. 2020] ont permis de réaliser au fil des années un démonstrateur industriel prometteur [Berger et al., J. Lightwave Technol. 2016]. Des fonctions dérivées ont également été proposées, comme par exemple un filtre photonique agile haute performance [Ulrich et al., J. Lightwave Technol. 2022], ou un analyseur spectral à longueur d’onde télécom [Louchet-Chauvet et al., Las. Phys. 2020].
  • Le retournement temporel. Le retournement temporel permet de focaliser des ondes électromagnétiques ou sonores dans un milieu hétérogène sans connaître précisément ce milieu. Dans le cas des ondes radar large bande, le retournement temporel numérique n’est pas envisageable car il ne permet pas de gérer un milieu de propagation non stationnaire, en raison de la latence excessive du calcul du champ retourné. Il y a quelques années nous avons proposé une architecture de retournement temporel analogique de signaux RF sur porteuse optique basé sur le creusement spectral dans un cristal dopé aux ions erbium [Linget et al., Opt. Lett. 2013]. Le projet ANR "ATRAP" (Analog Time-Reversal Processor") actuellement en cours a pour but d’explorer un second protocole de retournement temporel basé sur l’écho de photon dans un cristal dopé, plus prometteur en bande passante [Louchet-Chauvet et al., IEEE MWP 2018].
  • L’optomécanique. L’optomécanique est un domaine de la physique fondamentale en plein essor, qui vise à coupler un système quantique avec un système mécanique. Les cristaux dopés aux ions de terre rare sont de très bon candidats pour étudier ce genre de couplage, car les ions sont insérés dans la matrice cristalline et leurs niveaux d’énergie sont sensibles à la contrainte mécanique dans le cristal. Nous avons proposé de mettre à profit cette sensibilité pour développer un capteur de vibration sans contact, fonctionnant à basse température [Louchet-Chauvet et al., Rev. Sci. Inst. 2019], [Louchet-Chauvet et al., AVS Quantum Science 2022], idéal pour diagnostiquer des vibrations dans un cryostat par exemple. Nous avons aussi exploré la manifestation réciproque de ce couplage, à savoir l’apparition d’une contrainte mécanique provoquée par l’excitation optique [Louchet-Chauvet et al., 2023, arxiv] [Louchet-Chauvet et al., J. Phys. Cond. Mat. 2022]. Cet effet, que nous avons appelé "action en retour piezo-orbitale", est très fondamental et lié au changement de forme des orbitales atomiques.

Contact :

Anne LOUCHET-CHAUVET
Tél. : 01 80 96 30 42
anne.louchet-chauvet (arobase) espci.fr

Collaborations

  • Sacha Welinski, Perrine Berger, Loïc Morvan, Thales Research&Technology Palaiseau
  • Alban Ferrier, Alexey Tiranov, Philippe Goldner, Institut de Recherche de Chimie Paris
  • Pierre Verlot, LuMIn
  • Thierry Chanelière, Signe Seidelin, Jean-Philippe Poizat, Institut Néel
  • Julien de Rosny, Fabrice Lemoult, Institut Langevin

Haut de page